South Africa

Par Astrid Lannuzel, publié le 2024-07-11 12:31:31

Production de vaccins en Afrique : le paradoxe de l’aide internationale

Le continent africain dépend largement de l’étranger pour les vaccins. Seul 1 % des vaccins administrés sont produits localement, le restant est importé, majoritairement en provenance d’Asie. Cette dépendance vis-à-vis de l’extérieur engendre des risques en matière de chaînes d’approvisionnement et donc d’accès aux vaccins, comme l’a douloureusement révélé la pandémie de Covid-19.


Astrid Lannuzel, Université Paris-Saclay

Photo : Un jeune homme reçoit une dose de vaccin Pfizer-Biontech pendant la pandémie de Covid-19, en Afrique du Sud.Luca Sola/AFP

Les questions éthiques et morales de cette iniquité vaccinale ont réveillé les consciences des communautés africaine et internationale, et fait ressurgir le débat sur la mise en place d’industries locales de fabrication de vaccins. De nombreuses parties prenantes publiques et privées sont aujourd’hui impliquées dans le développement de tels systèmes de production. Mais plusieurs obstacles demeurent. Explications.

Des capacités de production très déficitaires

Durant la pandémie de Covid-19, les pays du continent ont connu des retards dans la réception des doses, et donc dans l’immunisation de leurs populations, en dépit des mécanismes de solidarité internationale mis en œuvre (tels que le dispositif COVAX). En raison de sa dépendance aux importations, le continent n’a pas pu compter sur la production locale de vaccins.

Cette situation n’est pas étonnante : en 2020, seuls 10 fabricants de vaccins opéraient dans 5 pays, ce qui révèle le peu de soutien politique et financier accordé au développement d’une industrie pharmaceutique sur le sol africain, et ce depuis des décennies. Les partenaires internationaux et les gouvernements locaux ont longtemps préféré importer des vaccins et diriger leurs efforts vers d’autres secteurs jugés plus prioritaires.

Suite à la pandémie, cependant, la forte mobilisation africaine et internationale a contribué à la dynamisation des projets de production de vaccins. On dénombre aujourd’hui une trentaine de projets à travers 14 pays.

De nombreux acteurs impliqués

De nombreuses parties prenantes ont participé ou participent à l’accélération du développement de la production africaine, par le soutien technique, financier ou par la mise à profit de ressources ou d’expertise : acteurs et bailleurs de fonds œuvrant dans la santé mondiale (Organisation mondiale de la santé, Gavi, l’Alliance du vaccin, PATH…), entités panafricaines de développement et de santé (CDC Afrique, notamment) ou encore fabricants locaux ou internationaux de vaccins (Pfizer, Moderna, etc.).

Forte de cette mobilisation, l’Union africaine affichait dès 2021 son ambition de voir naître une industrie africaine de fabrication de vaccins capable de développer, produire et fournir 60 % des doses nécessaires sur le continent d’ici à l’horizon 2040. Afin de coordonner l’action des multiples acteurs impliqués et élaborer la stratégie continentale de fabrication de vaccins, elle a mis en place le Partenariat pour la production des vaccins en Afrique (PAVM).

Toutefois, pour développer une industrie régionale de vaccins, construire des usines et des lignes de production n’est pas suffisant. Il faut pouvoir créer, et donc financer un écosystème profitable à l’établissement d’une industrie de vaccins pérenne : former suffisamment de ressources humaines qualifiées, renforcer le cadre réglementaire, encourager le transfert de technologie ainsi que la recherche et le développement, améliorer les infrastructures de transport intracontinental, ainsi que les services d’utilité publique (eau, électricité, assainissement).

Le PAVM estime qu’une enveloppe de 30 milliards de dollars américains couvrirait son plan d’action de renforcement de l’écosystème sur 20 ans, propice à la réalisation de son ambition. La mobilisation des financements et donc des financeurs est fondamentale.

Qui participe aux financements ?

Depuis 2021, les engagements financiers sont annoncés peu à peu. Un appui de 600 millions de dollars promis par l’IFC, la branche secteur privé du Groupe de la Banque mondiale, de 40 millions de dollars par la Fondation Bill & Melinda Gates, ou encore de 50 millions de dollars par la Coalition pour les innovations en matière de préparation aux épidémies. Ces coups de pouce sont destinés à soutenir directement les fabricants africains « historiques », Biovac et Aspen Pharmacare Holdings Limited en Afrique du Sud ou l’Institut Pasteur de Dakar (IPD) au Sénégal.

Des budgets sont également prévus pour renforcer l’écosystème nécessaire à l’émergence et la pérennité de l’industrie de vaccins. C’est par exemple le cas du projet MAV+ (Manufacturing and Access to Vaccines, Medicines and health technology products in Africa) annoncé par la Commission européenne pour un montant de 1 milliard d’euros.

Mais pour qu’un fabricant s’installe et prospère, il doit pouvoir vendre ses vaccins. Et pour qu’un vaccin puisse être acheté et distribué par les bailleurs internationaux, tels que Gavi-UNICEF, il lui faut obtenir la préqualification.

Obtenir la préqualification, un impératif pour les fabricants

Le programme de préqualification des Nations Unies, dirigé par l’OMS, vise à garantir que les vaccins, médicaments, diagnostics et contrôles de vecteur répondent aux normes internationales de qualité, sécurité et efficacité.

L’attribution de la préqualification se fait non seulement sur la base d’une revue de dossier, mais aussi d’inspections physiques des sites de fabrication et d’activités de contrôle qualité. Tout fabricant, quel que soit son pays, peut demander la préqualification de son produit.

L’obtention de cette préqualification pour un fabricant africain de vaccins est un point clé. En effet, les procédures d’achat rigoureuses de l’UNICEF imposent la préqualification comme critère de sélection des vaccins. Voir son vaccin rejoindre la liste des produits préqualifiés représente pour un fabricant l’opportunité d’accéder aux appels d’offres de Gavi, l’Alliance du vaccin/UNICEF.

Rappelons que le partenariat public-privé Gavi est depuis 2000 le principal bailleur de vaccins sur le continent africain : les deux tiers des doses qui y sont distribuées sont acquis sur financement GAVI, par l’intermédiaire de l’UNICEF, le restant étant acheté directement par les pays africains.

Autre intérêt de l’obtention de la préqualification : fin 2023, Gavi a annoncé la création d’un instrument financier pour soutenir la production durable de vaccins sur le continent africain, baptisé AVMA (pour Accélérateur de la Production de vaccins en Afrique). Ce paiement incitatif au fabricant lors de l’obtention de la préqualification OMS a pour objectif de compenser les investissements nécessaires et d’encourager les fabricants à produire en Afrique.

Obtenir la préqualification : un parcours du combattant ?

Obtenir la préqualification peut être un processus long et complexe. Si, selon l’OMS, il faut compter au moins 3 mois pour finaliser le processus, en pratique à compter de la mise en place des capacités de production, au moins 10 ans (et en moyenne plutôt 20 ans) peuvent être nécessaires pour obtenir la préqualification d’un premier vaccin par l’OMS.

Outre le facteur temps et l’investissement que représente la préqualification, il existe un autre défi : la nécessité de disposer dans le pays de production d’une autorité de réglementation dite « fonctionnelle ». En effet, un dossier de demande de préqualification pour un vaccin ne peut être soumis que si l’institution de réglementation nationale du pays qui héberge le fabricant a atteint un certain niveau de qualité, évaluée par l’OMS.

À ce jour, seuls deux pays africains, à savoir l’Égypte et l’Afrique du Sud, ont atteint cet objectif. Autrement dit, 12 des 14 pays qui portent un projet de production ne peuvent voir aujourd’hui un vaccin produit sur leur sol être préqualifié…

Le paradoxe de l’aide internationale

On voit ici émerger les limites du soutien de la communauté internationale, et un paradoxe se dessiner. Les investissements internationaux s’emploient à déployer l’industrie manufacturière de vaccins par le renforcement des capacités de production et de l’écosystème de l’industrie.

Pourtant, les doses produites par ces nouveaux fabricants ne pourront prétendre aux appels d’offres lancés par Gavi-UNICEF avant l’obtention de la préqualification, entraînant un risque sur leur viabilité économique, le développement de leurs capacités de production et donc leur pérennité. Pour rappel, Gavi-UNICEF finance les deux tiers des besoins en vaccins du continent. Donc, sans un accès suffisant au marché, quelles que soient les sommes investies pour soutenir la production africaine de vaccins, l’industrie ne pourra pas émerger.

Sur les 30 projets de production de vaccins aujourd’hui annoncés, combien seront en mesure d’atteindre la préqualification ? Qui achètera les doses de vaccins avant la finalisation du processus de préqualification ?

S’il l’on souhaite orienter au mieux les investissements et aider les nouveaux fabricants à accéder au marché, il est essentiel que ces questions soient prises en compte dès maintenant.

Des solutions existent. Il peut s’agir par exemple de mettre en place, dans des pays qui s’autoapprovisionnent, des politiques nationales ou régionales priorisant les fabricants africains (en attendant l’obtention de la préqualification). Ou encore de renforcer l’assistance technique pour accélérer l’obtention de la préqualification.

Quelle que soit la solution envisagée, une stratégie commune doit être élaborée par les bailleurs, les autorités africaines et les fabricants locaux. C’est d’autant plus important qu’au-delà de l’impact direct sur la santé, le déploiement de cette industrie pourrait avoir de nombreux bénéfices pour le continent, en constituant un levier pour le développement économique ou en améliorant l’autonomie et la souveraineté des états. Et il pourrait également jouer un rôle crucial dans le renforcement de la sécurité sanitaire mondiale en cas de nouvelle pandémie…The Conversation

Astrid Lannuzel, Docteur en pharmacie, Université Paris-Saclay

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.